Déménagement
Très précocement séduite par la physique
aristotélicienne, ma petite apprentie philosophe appréhende la
nature à travers le mouvement qu'elle occasionne dans ma cuisine.
Il n'y a que deux tiroirs auxquels elle a le droit de
toucher. De temps en temps elle tente, c'est si tentant, une approche
stratégique pour ouvrir la porte d'un placard interdit. Tout en
touchant ledit placard, elle m'observe du coin de l'oeil, l'air de
rien, espérant une trêve de l'interdiction. J'ai l'oeil ma fille !
Elle a beau me faire les yeux doux, même pour ses beaux yeux je ne
cède pas, et s'il le faut, elle le sait, mes gros yeux elle verra.
Sans me quitter du regard, elle s'attaque alors à "ses"
tiroirs et les vide ardemment de leurs contenus. En quelques minutes
ma cuisine ressemble à un champ de bataille: jonchent sur le sol des
serviettes et des torchons, barricadant le passage à mon rouleau à
patisserie; sursautent ça et là des moules à gâteaux en plastique
rebondissant; se retrouvent épars pommes de terre et oignons sortis
de leur panier; tapissent mon carrelage les objets les plus
insolites; échouent malheureusement balai et serpillère au milieu
de ce vacarme silencieux.
A ce moment-là je rêve de l'intervention de Mary
Poppins, d'un balai magique ou encore d'un bébé qui range tout
autant qu'il dérange. Courage, on y arrive: ma déménageuse se
prête très volontiers au "jeu du rangement". Ce qu'elle
préfère c'est ramasser puis jeter les épluchures d'oignon dans la
poubelle. A moi d'avoir un peu de souplesse, car il a ensuite fallu
que je ressorte quelques oignons perdus au milieu des déchets...
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